Je suis le Reptile....

Mon crâne est prêt à exploser. Il me faut ici consigner les fragments épars de mes souvenirs avant que ces atroces migraines m’empêchent définitivement de tenir un stylet.

Je suis né…. Eclos… il y a quelques siècles de cela, dans la merveilleuse citée de Sylthamiss -Hyss.

Imaginez… Des édifices d’adobe, fins et élancés, se reflétant dans l’eau émeraude des canaux et des bassins. Quelques tours blanches pointant vers le ciel argenté. Des chemins de coquillages se terminant sur des pontons de bois gris où sont amarrées les barges à fond plat. Des….

Sylthamiss -Hyss …Pfff… un trou boueux. Des huttes de bouse dans un marais glauque aux odeurs de souffre et de vase, repaire de sangsues, d’amibes et de moustiques….
Voyons... sois un peu indulgent avec lui... Si nous sommes là, c'est bien grâce à lui, non ?

Il…. Il faut que j’aille à l’essentiel. Je suis le 7ème d’une couvée de 12. Ma place dans la fratrie me destinait donc à être un sorcier. En effet, les premiers nés, plus forts, deviennent des gardes ou des ouvriers car plus puissants et plus gros, ils ne se servent que de leurs muscles et jamais de leur intelligence et ce, dès la naissance. Les derniers nés, plus petits, sont obligés de développer très vite leur esprit s’ils veulent survivre.

C’est ça : les gros : guerriers, les malingres et chétifs : sorciers. C’est bien une idée de reptile…

Mes parents - que la terre leur soit légère - étaient des notables de la citée. Mon père faisait partie du conseil des sorciers du gouverneur, un vieux et puissant Crocod. Quant à ma génitrice, elle était prêtresse de Saluqzala. Nous appartenions a la tribu des Ophides, réputés par la puissance et la subtilité de leur magie.

Des saurus bourgeois, aux idées étriquées, satisfaits d’eux-mêmes et de leur petit confort. Quel anarchiste, toi !

A notre éclosion, la prophétesse de la Citée était là. Vieille saurus de la tribu des Chélones, à la gueule édentée, elle nous attrapa chacun notre tour et nous baptisa. Quant vint mon tour, elle prononça les mots suivants :
« Celui-là se nommera Sylssh (Clair-obscur, en langage courant) car sa lumière sera obscurcie par des ténèbres que je ne peux ici nommer…. »

Il est vrai que cette vieille carapacée avait une parcelle de talent divinatoire...
Oui...je me demande même si Damballa n'est pas derrière tout ça... Ca lui ressemblerait assez

Evidemment, cette prédiction plongea mes parents dans la consternation. La vieille sibylle baptisait tous les nouveaux-éclos et ses prophéties allaient du plus trivial (« je la nomme Madeleine car elle aura la larme facile » pour une des mes cousines Crocod) au plus essentiel (« Tu t’appelleras Legion car tu seras un grand Général" pour notre Gouverneur actuel). Que signifiait cette annonce me concernant ?
Ils tinrent conciliabule avec la tribu : fallait-il me sacrifier aux dieux ? Me laisser ligoté aux plus profonds des marais ? Ils choisirent finalement de ne rien faire, sachant par expérience qu’on ne peut lutter contre une prophétie. Mais les regards que me porta ma famille furent toujours teintés de suspicion. Même mes aînés me laissèrent en paix, juste au cas où…

Ah ah... S'ils avaient su... Ils auraient du le découper en tranche dès sa sortie de l'oeuf !! Que d'impétuosité mon chéri... Laisse donc ce petit saurus tranquille!

Je fis très tôt la preuve de dons exceptionnels dans l’art de la sorcellerie.

Exceptionnels... la vanité des saurus en ce qui concerne la magie est infinie....

Dons qu’hélas (du moins pensai-je ainsi en ce temps là) mes différents professeurs bridaient et réfrénaient. Alors que je pouvais invoquer une boule de feu de la taille d’une tête de troll, ils m’obligeaient à me concentrer sur une flamme grosse comme ma griffe. Alors que je pouvais m’amuser à faire léviter tous mes frères et sœurs (du moins, les survivants, ceux que les grands n’avaient pas… consommés), les archimages me forçaient à jongler mentalement avec des noix ! « Sans maîtrise, la puissance n’est rien » me serinaient-ils à longueur de leçon….

Alors, je rongeais mon frein, tentais d’être patient. Dieux !!! Maintenant que le temps a passé, je me rends compte aujourd’hui quel idiot j’étais. N'est-ce pas ? Mais il a grandi depuis. Il a compris. Il nous comprend... Nous accepte

Le temps de mon enfance était bercé d’une douce et lente monotonie. Je le revois aujourd’hui avec nostalgie. Sous le ciel perpétuellement couvert de notre cité aquatique, les journées étaient toutes semblables : leçons d’alchimie, magie destructrice, soins, illusions… rythmées par des baignades dans les marigots, de bains de boue et de pêche dans les canaux.

D’un ennui, mais d’un ennui!!!…. Une vie de serpent… Et des leçons de magie digne d’un apprenti démon du 1er cercle….

J’approchais de l’âge adulte …. Ca a pris un siècle…. Mais qu'est-ce que le temps pour nous ? J’allais bientôt commencer ma 13ème mue, celle qui donnerait à mes écailles leur couleur définitive.A la vue de cette couleur, la prophétesse déclamerait sa seconde et dernière prophétie. Puis on m’attribuerait un grade et une place dans la cité.

Des pions placés de façon immuable sur un echiquier….

Je me préparais donc pour la cérémonie rituelle. Je partis dans les marais sans équipement ni provisions. Je devais me débrouiller seul et ne revenir à Sylthamiss –Hyss qu’une fois ma mue terminée.

J’y restais 66 jours. Dans les marais, la mue m’affaiblissait. Le jeûne et l’inanition provoquaient des états seconds et des visions. Genre : "je philosophe avec les moustiques et je délire après avoir ingurgité des champignons…" voyez le trip ? Mais je me transformais.

Je devenais plus fort. Trop drôle. Plus résistant. Plus robuste. Mes glandes à venin s’activèrent et se développèrent, ce qui me permit de mieux me nourrir en tuant plus facilement la petite faune aquatique. Régime de rongeurs sauce venin…un vrai délice. Mes caractères sexuels mâles firent leur apparition : mes griffes et mes ergots se durcirent et s’allongèrent, ma crête se développa. C'est vrai..un beau mâle.... hi hi ! Un jour enfin, après plus de 2 mois à errer à demi fou - Je confirme - dans les marécages, ma mue de juvénile tomba, laissant apparaître mes écailles d’adulte. Des écailles d’un noir luisant. Ma métamorphose était terminée. Je pouvais réintégrer la cité.

Enfin... fini le séjour à la campagne. Les choses sérieuses allaient pouvoir commencer.... Oui... l'heure approchait

Sitôt revenu, mes parents convoquèrent toute la tribu des Ophides et nous attendimes tous la vieille prophétesse et le conseil des anciens. Elle allait pour la seconde et dernière fois prophétiser et les anciens m’attribueraient, à partir de l’étude de la prophétie, une place dans la société saurus.

Les servantes m’avaient lustré les écailles en pouffant et chuchotant à la vue de ma crête et de mes ergots. Voletaille reptilienne ! Mais non, enfin ! Femmes séduites, femmes sensuelles... J’avais revêtu une toge émeraude et des bottes souples. D’un goût absolument hideux. [color=blue Il était si viril, notre saurus...[/color]

Un saurus noir était peu courant, et certains, en hochant la tête d’un air entendu, rappelaient la première prophétie. Je ne m’en occupais pas, tout à mes projets d’avenir. Vu la puissance de ma magie, je ne m’inquiétais guère de la place qui me serais accordée : ça serait probablement un poste de sorcier dans une des école de magie, vraisemblablement celle de la destruction.

Enfin, la vieille Chélone arriva, accompagnée de l’aréopage des sages. Sans accepter les boissons tendues par ma famille, elle s’approcha de moi, me caressant rapidement le mufle et la crête de ses mains faibles et ridées, et prononça sa seconde prophétie :

Il est Autres. Arrogance et Destruction. Flammes et Glace. Terreur arrive.

Terreur !!! Quel humour !!! Et quelle vision ! Mais, pauvre vieille, ton rôle est de prédire, point d’agir. Tu as vu mais tu es restée impuissante….. Elle a préparé notre venue... Elle les a prévenus. Et personne n'a compris

Ses mains retombèrent, elle se recula jusqu’à l’entrée circulaire de notre demeure, puis repartit de son pas chancelant sans prononcer un mot supplémentaire….

La stupeur et l’étonnement régnaient au sein des Ophides. Quel genre de prophétie était-ce là ? D’habitude, on y comprenait quelque chose, mais là…. Les sages anciens semblaient aussi perplexes que nous.
Pour ma part, je pensais juste que la vieille shaman avait ce jour atteint le stade ultime de la sénilité… Et c’était tombé sur moi….

Présomptueux reptile ! Si seulement tu avais écouté l’auspice.

Les sages se retirèrent sur la terrasse surplombant le canal afin de délibérer. J’étais sûr qu’ils n’allaient point tenir compte de ce semblant de prophétie et me donner un poste en adéquation avec mes talents.

Au bout de 3 longues heures ils revinrent dans la pièce principale où ma tribu et moi attendions patiemment.
Le Maître Ancien, un Iguana, prit alors la parole :
« Sombre fut la première prophétie, Obscure la seconde… Noirs son nom et ses écailles.
De lui, une menace se dégage. Un poste magique, il ne peut occuper car trop risqué est son devenir.
Sylssh, nous te nommons scribe adjoint aux Archives seigneuriales ! »

Scribe ????!!! Scribe ? Moi, un des plus puissant Ophides, réduit à un poste à peine digne d’un Gekh ???

Les pleutres…. L’enfermer dans un caveau poussiereux à classer des parchemins troués… Car ils avaient peur… S’ils avaient su. Si nous sommes là, maintenant, c’est grâce à eux ! Merci vieillards !

Ma vie dans les cases rondes d’argile dédiées aux archives commença. Je devais subir les ricanements des gecks archivistes, trop contents de voir un Ophide réduit à classer des parchemins moisis. Et, une fois ma tâche accomplie, en rentrant dans ma famille, je devais me résigner aux regards condescendants des membres de ma tribu…

Au bout de trois mois d’archivage, je mourrais d’ennui… Jusqu’au jour ou je découvris une case particulière, scellée par des sorts d'interdiction. Lorsque, innocemment, je me renseignai auprès de l’archiviste en chef quant au contenu de cette case, je me fis proprement et rapidement rembarré… Il ne m’en fallait pas plus pour exciter ma curiosité. Une case fermée et interdite ne pouvait qu’être remplie de trésors dignes d’un Ophide à l’honneur bafoué, un sorcier réduit à un rôle de scribe….

Il ne me fut pas difficile d’endormir la vigilance des vieux bibliothécaires et de m’approcher de la fameuse hutte. Les sorts de fermeture, quoique puissants, ne m’opposèrent qu’une résistance symbolique. Je pénétrai rapidement dans l’ombre fraîche de la pièce et refermai la porte derrière moi.

La case, ronde, était meublée de nombreux rayonnages en bois d’aulne. Sur ces rayonnages, des parchemins, des manuscrits, des rouleaux… A première vue, rien ne distinguait cette barraque d’archives d’une autre. En déambulant parmi les étagères, par contre, je pris conscience du contenu de ces papiers : il s’agissait de sorts, et de sorts très puissants !!
Je comprenais maintenant les mesures de protection…Et c’était exactement ce qu’il me fallait ! Oui, ce qu’il NOUS fallait… Je leur montrerai à tous la puissance de ma magie en utilisant une de ces évocations interdites! Dépêche toi, mon beau lézard, dépêche toi ! C'est si lugubre, ici...

Je rejoignais ma case d’abode et passais la nuit sur la balustrade, à réfléchir au meilleur enchantement à utiliser pour quitter cette position dégradante de scribe… Je laissais rapidement tomber les sorts de destruction, inutiles ou d’illusions, éphémères… J’envisageais un moment les sorts de confusion et d’envoûtement mais ils étaient peu efficace à grande échelle… Non, il me fallait quelque chose d’utile sur le long terme.

Et c’est aux premières lueurs de l’aube, face aux marais et à ses odeurs de fermentation, que la solution m’apparut dans sa lumineuse simplicité : un sortilège de convocation….OH OUI ! Convoque ! Invoque ! Rien de tel qu’un familier soumis OUI, je serai soumise ! pour me sortir discrètement de cette disgrâce… Oui, rien de tel…

Je filai aussitôt à la hutte interdite trouver un tel sort.

Les sorts de convocation occupaientt une étagère entière. Après en avoir parcouru des dizaines, j'optai finalement pour la convocation d'un démon mineur, habitant des cercles inférieurs. Suffisamment puissant pour m'assister dans toutes sortes de tâches magiques et assez veule pour être aisément dompter... Oui, un démon docile... excellent choix !!!

Le parchemin caché sous ma toge, j'attendis impatiemment le soir en faisant semblant de classer des archives concernant la collecte des ordures. Bientôt, tu penseras à ce moment ô combien ennuyeux comme au dernier moment tranquille et calme de ta vie, pauvre saurus presomptueux !!

La nuit venue, je pris une pirogue et me dirigeai, à travers les canaux, vers un banc de sable à l'extérieur de la ville.

J'allumai un feu, étalai par terre mon matériel de magie, déroulai le parchemin et commençai l'invocation. Demain, je serai encore plus puissant, demain, je quitterai les archives, demain, je serai craint et respecté dans toute la cité grâce à mon serviteur de l'ombre !!

Demain..oui, demain !!

Je traçai rapidement le pentacle sur le sable et débutai la psalmodie.

Des cascades de flammes glacées me lèchent les os.

Des brasiers acides me coulent sur les yeux qui se régènerent au même rythme qu'ils fondent.

Mes griffes sont arrachées, repoussent, sont arrachées. On m'entaille, m'éventre et pourtant je survis.

Je suis plongée dans un océan de feu, je brûle et l'odeur de ma chair grillée me parvient.

Depuis combien de temps ? Une minute ? Un siècle ? Je ne sais pas. La douleur est omniprésente, froide et amicale, présence d'acier au goût salé.

Pourquoi suis-je ici ? Quel crime ai-je commis ? De quelle atrocité subis-je le châtiment ? Je ne me rappelle plus...

Parfois, les tourments cessent, le temps de laisser mon esprit atomisé tenter de se recomposer, de se souvenir.

Dans ces instants d'acalmie, je les entends alors, bruire et ricaner autour de moi. Et quand je commence a me souvenir de mon nom, quand mes pensées se rassemblent, alors, la tornade reprend et je perds pied de nouveau et je hurle alors même que ma bouche s'enflamme.

La haine, voilà ce qui me fait tenir. Je supporte cette dammation car je dois leur faire payer.

Et la souffrance, telle une vieille amie, s'approche de nouveau, me caresse et me relève, me sourit et me torture...

Depuis combien de temps suis-je là ? Une minute ? un siècle ?

Pourquoi suis-je ici ? quel crime ai-je commis ?

Soudain, je preçois un changement. A travers mes os emiettés, par de là mes organes effilochés, je sens... un appel... On me tire... Je suis aspiré...
Mes liens invisibles se distandent, je suis ecartelé, attiré.

Les ricannements cessent, les bruissement parcheminés s'arrêtent... La douleur s'estompe.. légèrement...

Nous quittons ce lieu de damnation, attirés par la litanie. Nous sombrons....

Incarné ! Je me retrouve incarné ! Libéré ! Je sens l'esprit du corps que j'occupe s'agiter, affolé et surpris. je profite de sa confusion pour l'éparpiller afin de jouir à loisir de ce sentiment d'être vivant, solide, de chair, de sang et d'os...

Mais... dans quoi suis-je tombé ? Un... Un lézard ??? Il a fallu que je sois réincarné en un reptile écailleux !!! Est-ce une nouvelle torture raffinée ? Ai-je quitté ma prison de souffrance pour ça ????

Ne pouvais-je me retrouver dans un sorcier humain musclé et charismatique ? Une elfette a la forte poitrine ? Non... Un saurus ! Damné j'étais et damné je resterais...

Allons..pas de défaitisme... Je suis sûr que je peux utiliser à mon avantage ce corps de saurien... Voyons voir ce qu'il est capable d'endurer comme puissance magique...

J'invoque rapidement une sphère ardente que je lance négligemment sur la hutte la plus proche, a quelques empants du banc de sable ou je me dresse. Le toit de paille s'enflamme, suivi de celui de la hutte voisine... Ah... on y voit déja plus clair... Pour tester, je gèle l'eau qui entoure mon îlot. Oui...Ce corps est résistant. Je vais pouvoir accomplir de grandes choses avec...

Tout à mes expérimentations, je n'ai pas pris garde à l'esprit débile que j'avais réduit à l'impuissance. Il avait réussit à s'assembler et je le sentais papillonner, paniqué. J'allais le détruire de façon définitive quand il trouva la seule parade possible : il déconnecta son corps : nous sombrâmes, inconscients, sur le sable dur et mouillé, alors que les premiers cris d'alerte résonnent dans la cité.
Toujours cette impatience imbécile ! Pourquoi ne me l'as tu point confié ? Par le sexe et la douceur, j'en aurais pris le contrôle !

Je me réveillai deux jours plus tard, nauséeux et agité de spasmes, gisant sur une paillasse. Je fouillais aussitôt mon esprit, à la recherche du démon qui avait pris possession de moi... Plus rien... Il avait disparu ! J'étais prêt à pousser un soupir de soulagement quand je perçus en moi,dissimulé, une boule de noirceur, une sphère palpitante de ténèbres, exudant l'impatience et la méchanceté... Il était là ! Prêt à profiter de la première occasion pour me posséder de nouveau ! Il me fallait un exorcisme ! J'ouvris les yeux.

Un coup d'oeil, douloureux, m'apprit que je me trouvais dans la case des soins. Autour de ma couche, mes parents et une druidesse. Une druidesse ? Qu'avais-je besoin d'une soigneuse ?

Je me redressai péniblement :

" Que... L'incendie ? Le démon ! Il est en moi ! Convoquez les exorcistes ! Je suis possédé ! Le parchemin ! Le sort ? Où est-il ? Il était plus fort que moi ! Je..."

La druidesse me repoussa doucement, mais fermement sur mon matelas.
"Du calme! On s'occupe de vous. Il vous faut du calme et du repos. Buvez ceci" ajouta-t-elle en me tendant un bol d'une potion fumante.

"Mais que m'importe vos potions !! Je vous dis que j'ai en moi un démon !!"

Mon père s'approcha alors. Je vis dans ses yeux un mélange de colère, de crainte et de tristesse. Ma mère, derrière lui, restait immobile et silencieuse.

"Tu ferais mieux d'écouter la druidesse. L'incendie a été maîtrisé. Il y a eu des morts."

"Le parchemin ? Le sort ? L'avez vous retrouvé? Vous en aurez sans doute besoin pour le désenvoutement..."

Mon père se détourna brusquement. Ma mère prit alors la parole, d'une voix douce et chagrinée :
"Fils, nous avons retrouvé le parchemin. Il provient de la case interdite des archives, n'est-ce pas ?
Mais tu as fait erreur. Cette hutte ne contient pas de sorts trop puissants ou dangereux. On y rassemble les sorts inefficaces, inexploitables, chargés d'erreurs. Le sort que tu as utilisé ne fonctionne pas. Lorsqu'on l'invoque, rien ne se passe. L'archimage l'a de nouveau testé ce matin. Je le testerai de nouveau devant toi, si tu le souhaites...

Fils, Il n'y a aucun démon. Tu n'es pas envouté. Tu n'es pas possédé. Tu es juste...malade."

Nous sommes libres ! Désincarnés, impuissants, mais libres !

Malade...
Ma "maladie" dura deux siècles.

Deux siècles de potions à ingurgiter, de baignades dans des bassins de poissons torpilles, d'incisions diverses sur le crâne....
Et pourtant, nous restâmes avec toi. T'aidant. Te protégeant. Tentant vainement, mon bel amant de chair, de te parler. Mais tu ne nous entendais pas. Pas encore... Nous attendions. Nous attendions notre heure
Le démon finit par quitter mon corps, si tant est qu'il y séjourna jamais... Probablement dégoutté d'être tombé dans le corps d'un aliéné... Mais il resta cependant à mes côtés, m'accompagnant souvent, discutant avec moi... Un beau démon... Mauvais à souhait.... Il se dispute souvent avec les autres, mais je l'aime bien..... Crétin ! Tu ne me connais pas. Tu n'appréhendes même pas le moindre atome de mon être...

Mes parents...enfin, ma mère, vint me rendre visite les premières années... Puis toute visite cessa. Seuls les druides s'occupaient de moi.

J'ai du mal à me souvenir de ces périodes, elles semblent enveloppées dans une espèce de brouillard ouateux. En me concentrant, quelques images reviennent :

attaché par des crochets aux murs pendant qu'une vieille druidesse me fait couler dans la gorge un breuvage brulant.

mon corps tendu à rompre pendant qu'un sorcier m'envoie des vagues d'énergie magique

un réveil brusque et lucide ou je me retrouve, accroupi et bavant, entouré de saurus babillants

mes griffes ensanglantées crissant depuis des heures contre un mur d'argile

un scalpel étincelant qui s'approche de ma tempe

Heureusement, très vite, ils vinrent me rendre visite. Leur présence m'apportaient réconfort et sérénité. Eux seuls semblaient se soucier de moi.

Le premier fut le Démon responsable de mon séjour. Arrogant, prétentieux. Il avait, par je ne sais quel maléfice, réussi à prendre forme. Souvent, il s'asseyait à mes côtés puis passait des heures à me décrire d'une voix excitée toutes les sanglantes tortures à infliger à un être vivant que son esprit pouvait imaginer.

Quelques temps plus tard, ce fut une elfe qui arriva. Dénudée et aux formes généreuses, elle se plaçait derrière moi et me sussurrait les pires obscénités. J'aimais beaucoup ses visites.
Puis ce fut la petite Felys, celle qui zozotait, en compagnie de sa poupée, le blob érudit qui m'envoyait des messages télépathiques me contant l'histoire des origines.
Il étaient nombreux, ces amis aux regard plein de sollicitude, qui m'accompagnaient tout au long de ces journées.
Nous primes tant de formes... Tu nous écoutais. Tu nous acceptais... mais tu étais si faible... Et pourtant... Nous restâmes....

Un jour, un nouveau venu fit son apparition. Il était différent des autres, une autre aura. D'ailleurs, les autres gardaient leur distance avec lui. Même le démon la ramenait moins, c'est dire....
Ce salopard de Pan... Bien trop fort à l'époque... Bien plus puissant que nous... Il nous a chassés...Vaincus ! Mais temporairement. Son discours est double et ne fera pas longtemps illusion... J'ai foi en ce saurus. J'ai fini par l'aprécier, oui, Erzi, tu peux sourire... Il saura, un jour ou l'autre, discerner les mensonges de celui qu'on appelle le Faucheur

Il était grand. Tantôt il m'apparaissait cornu et les pieds fourchus, tantôt il me rendait visite sous la forme d'un squelette ricanant. Il chassa tous les autres. Il m'expliqua.
Et grâce à lui, je pus quitter l'asile d'aliénés.

Mes anciens compagnons m'abandonnèrent peu à peu

On ne t'abandonna pas ! On nous chassa !

Et seul resta le grand cornu. De sa voix caverneuse, il entreprit de retisser les fils éfilochés de mon esprit. Il me fit un cadeau : il me montra comment le grondement sourd de la magie en moi me permettait de me concentrer, de me retrouver, de garder conscience. En me fermant aux autres, je pouvais me recentrer. C'était un processus lent. Mais inexorable.

Jour après jour, les pulsations devenaient plus fortes, plus électrisantes... J'avais le pouvoir ! Et j'avais la rage !

Et c'est quand il devient opérationnel qu'il nous rejette ! Quel ingrat ! Sale petit lézard!
Nous ne sommes plus à un siècle prêt, Ogun chou.... Nous le récupérerons et nous en ferons notre flambeau... Sois en sûr... Laisse donc l'autre sac d'os se l'accaparer... Pour l'instant....

Quel évenement déclencha tout ça ? Je ne m'en souviens plus. Probablement un geste anodin. Un sourire suffisant d'un druide qui m'examinait ? M'être réveillé sur une paillasse sale avec à mon côté un autre saurus dément en train de machouiller un morceau de ma tunique ? un potion amère de trop ? Peu importe...
Ce que je me rappelle, c'est la haine, brulante et corrosive qui me submergea. Les battements sourds de la magie dans mon crâne. Le sifflement aigu du pouvoir. J'hurlai. Longtemps. Et liberai toute cette puissance.
Feu, glace, acide, écartelement, déchirure, jouissance et délivrance.

Un beau spectacle ! Je me sentais toute chose...

Lorsque je repris conscience, l'asile avait disparu. je reposais au milieu de décombres, de cendres, de corps statufiés dans une expression d'horreur...

Et avec l'asile s'en étaient allés mes souvenirs. Seuls le flux et le reflux de la magie m'occupaient l'esprit.
Effacé mon nom, effacée mon histoire, effacés mes fantomes et mes guides.
Une seule phrase parvenait à s'accrocher au lambeau de mon âme :
Il est Autres. Arrogance et Destruction. Flammes et Glace. Terreur arrive.

Je ne me souvenais plus qui l'avait prononcé, dans quelles circonstances, mais je la sentais importante. Je quittais les ruines fumantes avec cet unique mantra.
Et avec un nouveau nom.
Deimos.

Pendant quelque temps, je parcourus les terres sauriennes, la tête vide, oublieux de mon histoire, oublieux de ma magie. Je recontrais d'étranges personnages : vieux lupussophobe, frères et soeurs taquins, voleuse des marécages, fou a la recherhce d'un bison gris.....

Ma magie petit à petit revenait, mais point les souvenirs...
Mais nous te suivions. Te guidions. renforçant tes pouvoirs par des moyens détournés

Un plongeon dans un lac et ce fut la découverte des terres de Kédrock. La redécouverte laborieuse des pouvoirs enfouis. Mais de mémoire toujours pas.

J'errais, solitaire, de part les routes, tuant de ci, de là, plus pour m'occuper que par réelle rage, jusqu'à rencontrer une elfe, mutine et cultivée, sorcière comme moi: Sybilline Ambrefeu.
Ah Sybilline... amante extraordinaire. Quelle adepte elle aurait fait !

Elle sut m'accepter, avec mon désarroi, mes meurtres et mon amnésie. Elle m'accepta au sein de sa famille, les Sons of Lumen Penombra qui surent me guider, m'enseigner, me conseiller. Avec eux, je réappris à sourire, avec eux je compris le plasir à être à plusieurs. j'en vins presque a arretr de tuer, Une vraie mauviette ! Et pourquoi pas guérir les manants, tant qu'on y est ! me contentant de consolider mes connaissances magiques ou de rechercher divers artefacts nécessaire à l'amelioration de mes sortilèges.

J'étais toujours sans passé mais cela ne me préoccupait plus. Au diable l'histoire, ma vie était ici, avec les Penombra. Jusqu'au jour où Sybilline disparut.